En haut à droite : Ianis ; en haut à gauche : Anaïs (a travaillé chez nous de juillet 2020 à mai 2021), en bas : David.
A-t-il un nom ?
Si notre alambic a un nom, alors pourquoi pas notre foudre qui est, de loin, la pièce la plus massive de la brasserie. Mais non, nous ne l’avons, tristement, jamais nommé. Ce qui ne signifie pas par ailleurs que nous ne l’aimons pas.
Si je devais le nommer néanmoins, peut-être me tournerais-je vers “Arnold,” pour Arnold Schwarzenegger. Bien sûr, ils partagent chacun quelque chose de massif. Aussi, Schwarzenegger est appelé “The Austrian Oak”, le chêne autrichien, ce qui pourrait avoir un rapport considérable avec la tonne de bois de chêne qui compose notre foudre. Enfin, Schwarzenegger a participé à l’essor du bodybuilding, et, toute proportion et modestie gardée, notre foudre a également participé à quelque chose quant aux bières sauvages sur le marché français.
Comment est-il arrivé chez nous ?
Je dois avouer que je n’avais jamais prévu d’avoir un foudre de cette taille à la brasserie. Avec ses 6100 litres, son volume est plus que disproportionné. Mais, un beau jour d’hiver 2021, je scrollais sur internet et je suis tombé sur une annonce de la tonnellerie Bossuet vendant tout un tas de foudres, de tout volume, en provenance de Saint-Émilion. Bien sûr, j’ai été attiré par le plus gros ; je trouvais le rapport volume/prix extrêmement intéressant. Je me suis dit qu’on en ferait bien quelque chose. Quelques échanges de mails plus tard, il était commandé. Son déchargement et son installation ne furent pas de tout repos : il était si lourd qu’il faisait basculer le chariot élévateur vers l’avant ; je devais faire asseoir Anaïs et Ianis derrière pour contre-balancer la masse du foudre (coucou l’inspection du travail).
Son histoire
Il fut construit en 2007 et n’a eu qu’une vie avant nous : abriter du vin rouge au Château Teyssier à Saint-Émilion. En mars 2021, il a été entièrement vidangé et vendu. Il est arrivé chez nous le 30 avril 2021.
Sa vie à la brasserie
Sa préparation
Un des points dont j’ai oublié de vous parler et qui m’a fait tomber sous le charme de ce foudre, c’est qu’il n’est pas fait que de bois comme une simple barrique mais également d’inox. Son toit est entièrement en inox, avec une trappe hermétique sur le dôme. Il possède également une trappe de visite latérale en inox, 2 vannes partielles, 1 vanne totale et une canne de lavage. Ce dernier point est un gros plus, car il s’est passé un peu plus de 3 mois entre la vidange du vin et le remplissage en bières, et 3 mois, c’est long. **Surtout que nous n’avions pas eu le réflexe de le mettre sous CO2 à sa réception. L’odeur qui s’en dégageait avant le remplissage en bières ne nous plaisait pas : le fond de vin qui restait au fond avait sans doute développé une bactérie acétique. Pas de panique : grâce à cette canne de lavage, on branche une boule de lavage, et on le lave presque comme si on lavait un fermenteur.
Sa flore
Tout propre, on l’a rempli avec deux fermenteurs de Saison. La Saison, ça vous parle ? Un style de bière qui provient de Belgique, mais je n’en dis pas plus, car ce style de bière fascinant fera l’objet d’un article très bientôt. Mais, me direz-vous, une Saison n’est pas une bière dite “Sauvage” (ce style-là fera aussi l’objet d’un article – pour l’instant, on se contentera de dire que les bières que nous qualifions de “sauvages” sont des bières de fermentations mixtes auxquelles nous laissons du temps). Certes, alors on inocule. D’abord des brettanomyces, une levure produisant des notes puissantes, diverses et variées, en fonction de la souche et de ses conditions de travail. Puis des Pediococcus, une bactérie fascinante qui produit lentement une belle acidité.
Le départ est donc là : 2 levures, 1 bactérie. Mais notre foudre est fait de bois, de 6 cm d’épaisseur, 6 cm de vie potentielle : contrairement à l’inox, le bois n’est pas stérilisable, ni même désinfectable. Je suis donc persuadé qu’aujourd’hui, nos 3 souches initiales ont trouvé d’innombrables amies pour la cohabitation.
La méthode
6100 litres, soyons sérieux, si on met en vente 18 300 bouteilles de bière Sauvage sur le marché, nous en avons, au bas mot, pour les trois prochaines années. Et ça n’a pas vraiment de sens, ni d’un point de vue économique, ni d’un point de vue qualitatif (la bière est mieux à vieillir dans le foudre qu’en quilles). Alors, on utilise une méthode qui s’apparente, sans vraiment l’être, à la méthode Solera. Ça vous parle ?
On commence par un petit schéma trouvé ici.
En bref, le principe :
tous les ans, une part des barriques les plus vieilles, celles tout en bas, est embouteillée ;
cette part manquante est complétée avec la barrique du dessus, et ainsi de suite jusqu’à l’étage le plus haut ;
pour ce qui est de l’étage le plus haut, il est complété avec de l’alcool jeune.
Il y a deux choses que je trouve fascinantes dans cette méthode :
le fait d’obtenir une complexité unique : le produit final est un mélange presque impossible à appréhender d’alcool d’âge différent, passé dans différentes barriques ;
le produit fini contient toujours, même si la part peut être infime au fil des années, une part du plus vieil alcool qu’ait connu la méthode.
Mais nous n’avons qu’un foudre, alors quel rapport avec la méthode Solera ? Eh bien, nous ne le vidons jamais entièrement, nous en soutirons qu’une partie à chaque fois et complétons avec de la bière jeune :
cela permet, dans la même veine que la méthode Solera, de garder toujours une part de la première bière que le foudre a connue en juin 2021 dans chaque quille qui sort et sortira d’Arnold ;
aussi, cela permet d’entretenir la flore du foudre : certaines souches ont besoin de manger régulièrement pour rester en vie, on a donc besoin de soutirer et de remplir de nouveau plusieurs fois par an.
Nos bières Sauvages
Vous l’avez peut-être deviné, mais une grosse partie de nos bières Sauvages proviennent de notre foudre :
parfois sans ajout : en fait, cela n’est arrivé qu’une fois, grâce à V and B qui nous a suivi sur ce projet (regardez par là), et je les remercie personnellement pour cela, car j’adore la base de ce foudre, à la fois complexe et pintable, les deux plus belles caractéristiques quand elles sont réunies. Mais, il y a un mais : une Sauvage sans ajout, ça ne se vend pas ;
parfois nous en sortons une partie qu’on ramène en cuve pour y faire un ajout : fruits, épices, marc de raisin (notre Grape Ale Tannat par exemple) ;
enfin, nous nous en servons aussi pour remplir des barriques, des formes de “finish,” c’est-à-dire que nous allons chercher à apporter une nouvelle touche à la base du foudre (avez-vous goûté celle vieillie en barrique de Madeira ?).
Son avenir
On ne compte pas le vider, ni le vendre ! Il fait sa vie, tranquillement. Nous venons tout juste d’en soutirer une dizaine d’hectolitres pour un nouveau projet fruité, nous allons donc lui refiler le même volume de bière fraîche pour que la flore puisse se refaire une santé.
Il a aujourd’hui 41 mois, et ses caractéristiques organoleptiques changent (ce qui le rend encore plus passionnant) : petit à petit, il se corse, sa rusticité augmente – les brettanomyces prennent de plus en plus de place, l’acidité aussi augmente, bien que restant toujours modérée. Nous devons donc changer notre manière de bosser avec lui.
En tout cas, j’ai hâte de savoir comment ce grand fou va continuer à évoluer.