L’origine de l’alcool dans les spiritueux
Nous nous sommes lancés dans l’aventure des spiritueux il y a peu et j’admets que dès le début, quelque chose me tracassait. Nous avions régulièrement des remarques du style “Ah vous êtes chers quand même”. Pourtant, nous ne sommes pas réputés pour être des voleurs, nous travaillons en marge fixe, et non en coef, et ce dernier est relativement bas, pour permettre un accès à nos produits aux plus grand nombre. J’avais tout fait pour réduire les coûts pourtant :
Fabrication maison de Shai-Hulud ;
Distillation de bières invendables ;
Alors comment font mes collègues pour être parfois moins chers ? J’ai enquêté !
Les différentes façons de fabriquer un spiritueux
En creusant un peu, j’ai réalisé qu’il existait 3 grandes catégories d’entités commercialisant des spiritueux.
1. La distillation artisanale complète
Certains producteurs jouent la carte artisanale jusqu’au bout : ils fermentent eux-mêmes leurs matières premières, les distillent sur place, maîtrisent chaque étape du processus. C’est évidemment plus cher et plus complexe (achat et entretien d’alambics, d’une salle à brasser, de fermenteurs, main-d’œuvre qualifiée, temps de fermentation, temps de garde, etc.). Le produit final ne se caractérise bien sûr pas forcément par une meilleure qualité organoleptique, mais par un produit unique, entièrement artisanal, le producteur est maître du produit du début à la fin.
En me lançant dans la distillerie, j’étais persuadé que la plupart des distilleries françaises étaient dans ce cas.
2. Les cas intermédiaires
C’est ici qu’entre en jeu un concept qui va nous suivre jusque la fin de cet article : l’alcool éthylique d’origine agricole, dit aussi alcool neutre. C’est un alcool dépourvu de goût spécifique, proche de 96,3% ABV (le maximum qu’un liquide puisse contenir d’alcool). Cet alcool est créé par des alambics spécifiques, dits à colonne. Il sert de base à énormément de produits :
Gin, Pastis, Absinthe, Suze, Vodka, etc ;
Les liqueurs et les crèmes ;
Une partie des vins mutés ;
Cet alcool, difficile et coûteux à produire de manière artisanale, est proposé à la vente par des distilleries industrielles qui possèdent d’énormes alambics à colonne et distillent tout un tas de déchets : lies de fermenteurs viticoles, betteraves abîmées, bref tout ce qui peut contenir du sucre ou de l’amidon prêt à être convertis.
Ces cas intermédiaires donc, pour revenir au titre de cette partie, achètent cet alcool neutre industriel comme base à toutes leur macération : pastis, gin, vodka, liqueurs, etc. Certains produits nécessitent tout de même une repasse, c’est-à-dire qu’après macération, le produit doit être distillé de nouveau. Ces distilleries-là possèdent donc un alambic, que ça soit pour les redistillations dont on vient de parler, pour la création de distillat d’orge destiné au whisky, etc, mais utilisent de l’alcool neutre industriel pour tous les produits qui le nécessitent.
Légalement, rien n’oblige à indiquer la provenance de l’alcool sur l’étiquette, et la présence d’un alambic, aussi beau soit-il, n’indique pas que la distillerie fabrique son propre alcool.
3. Les cas extrêmes
La loi, en France, n’oblige donc pas les producteurs à indiquer la provenance exacte de leur alcool. Le principal impératif, c’est de ne pas tromper le consommateur. En gros, il ne faut pas se présenter comme une distillerie si on n’en est pas vraiment une. Sauf qu’après un contrôle massif réalisé en 2018 et 2019, la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) a observé :
« Une anomalie récurrente concerne l’emploi du terme “distillerie” sur l’étiquetage de produits simplement vieillis et/ou conditionnés par le metteur en marché. »
Dans ce troisième point, on va parler des entités dépourvues d’alambic. On comprend donc qu’elles ne peuvent se nommer “distillerie”, mais elles ont tout à fait le droit d’exister légalement. Le commerce de ces entreprises, c’est l’achat d’alcool, transformation sans distillation, revente – par exemple :
Achat d’alcool neutre pour faire leur macération sans redistillation ;
Achat de distillat pour vieillissement ;
Achat de produits prêts à être embouteillés (des barriques pleines, souvent) ;
Des métiers relativement éloignés du métier de distillateur donc. Si on met à part le cas illégal des entités non productrices qui se nomment “distillerie”, un flou juridique règne autour de ces alcools-là : nous pouvons demain acheter une barrique de whisky prête à être embouteillée chez notre voisin distillateur et vous vendre le premier whisky Iron, personne ne nous oblige à vous informer de si nous en sommes le producteur ou pas. Aussi, ces entreprises utilisent parfois des termes de style “Maison Truc – Rhum d’exception”, ou même juste “Truc – Rhum d’exception”, achète-t-on un rhum à un producteur ou à un embouteilleur ? Surprise.
Comment s’y retrouver ?
En fin de compte, je trouve important de rappeler que le monde des spiritueux ne se limite pas à un simple label « artisanal » ou « industriel ». Il existe une infinité de nuances, et malheureusement, une absence d’obligation claire en matière de transparence. Pour celles et ceux qui aiment valoriser l’artisanat et le savoir-faire, comprendre l’origine du produit que l’on achète est nécessaire. Si l’on ne peut pas compter sur les étiquettes pour tout nous dire, il reste la curiosité, la discussion avec les producteurs et, bien sûr, notre propre palais pour faire la différence.
Pourquoi cet article ?
Cet article ne vise en rien à dénigrer mes collègues qui utilisent de l’alcool industriel ou qui ne distillent pas leur produit, je ne mets pas au-dessus une pratique plus que l’autre. D’autant plus que ne pas créer son produit de A à Z n’est en rien corrélé à la qualité : vous trouverez des spiritueux magnifiques vendus par des embouteilleurs et des immondices par des distilleries qui ont produit l’entièreté de leur produit.
Alors, pourquoi ?
Le prix : après quelques recherches, je constate que l’alcool neutre industriel coûte environ 3 fois moins cher que produire son propre alcool neutre artisanalement. On pourrait donc bien baisser le prix de nos spiritueux et s’aligner avec le marché si nous utilisions cet alcool industriel. Mais en décidant de garder un produit entièrement artisanal, nous avons besoin d’informer nos clients sur les composantes du prix de vente ;
L’artisanat : j’aurais un certain mal à vous regarder dans les yeux et vous dire “voici mon alcool produit artisanalement”. J’ai parlé de mon article à un vieil ami qui me dit que l’éthique, ça fait pas vendre. A-t-il raison ?
Mots de la fin : vous l’aurez compris, notre alcool neutre est produit par Shai-Hulud à partir de nos bières. Et, ça ne va pas changer. Mais on compte sur vous pour savoir valoriser l’artisanat et maintenir des formes de savoir-faire.